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Atsing,
Le Cercle de la transparence

05 mars 2016 ... 30 avril 2016


Atsing, Le Cercle de la transparence

Inquiétante beauté que ces couples dos à dos, portraits angoissants qui forment un tout insaisissable dans une surface flottante, comme un souvenir obsédant. Ces toiles dissimulent quelque chose et le laissent deviner : la vie réelle, la mondialisation, la séparation, le vide sans espoir de salut.
C’est un monde se mentant à lui-même pour mieux se fuir qui se révèle à nous.

Le réalisme d’Atsing est singulier. Lorsqu’il s’agit de peinture chinoise contemporaine, la critique ressasse inlassablement la même antienne. Il nous faut pour comprendre cet art actuel repasser par la période communiste et, au moins, faire l’inventaire du post pop des années 1990-2000. Or, la singularité d’Atsing consiste à ne revendiquer aucune influence directe de son pays d’origine. Il ne vient pas de nulle part mais sa figuration, ce réalisme toujours actualisé, n’est qu’une apparence. Le réel qu’il recouvre de couches colorées, aux tonalités pastel, ne se rattache à rien de connu. Son efficacité est de n’en avoir aucune ! Il y a dans le refus de l’ironie, de la peinture d’histoire ou de la glorification du corps un parti-pris inédit de défonctionnalisation de l’acte pictural. Si la tradition devait être invoquée, nous la situerions du côté de Bonnard ou de Vuillard et, de plus loin encore, dans la peinture de fresque.
Des personnages, à la limite de la transparence, forment une troupe de horlas, de revenants à l’origine incertaine. Le portrait individuel ou la description d’un objet n’est en rien l’affirmation d’une psychologie et encore moins d’une idée. La désincarnation est le véritable sujet d’une peinture qui traque les ombres et met au jour le vide. Les Goncourt disaient que « les artistes ne devraient jamais se mêler de politique : c’est l’orage qu’ils devraient laisser passer au-dessus d’eux ». Mais, là aussi, tel n’est pas le propos du peintre. Il ne se retire pas du monde, il le scrute, a contrario, au plus près ; au delà de l’évidence. Ce refus d’un fonctionnalisme appliqué ne va pas jusqu’à proposer la restauration d’une beauté intrinsèque de la peinture. Le tableau ayant subi depuis les années 1970 toutes les critiques, souvent justifiées, peut se voir aujourd’hui comme un objet définitivement lavé de tous les soupçons. Il est de nouveau l’objet de tous les possibles, même de l’inenvisageable.
Les sujets et les objets d’Atsing, de même nature, surgissent de l’ombre et s’affirment, à la condition que l’on veuille bien examiner durablement la toile. Leur présence n’est pas anecdotique, encore moins décorative. Ils s’effacent, s’excusant presque d’être là. On ne sait ce qu’ils sont. Rien dans les fonds qui serait prétexte à déterminer une origine quelconque à ces gens et ces choses. La facture mise au point pourrait nous entrainer à définir sa peinture comme froide et distante… Et là encore, ce serait une erreur de la penser comme une forme moderne et clinique du désintérêt.
La couleur, toujours plus mate, dit la dureté du propos. Ce qu’Atsing a sous les yeux ne lui suffit pas, en s’emparant de reproductions prises dans les magazines, il interroge le mystère des apparences et des faux-semblants. Inquiétante beauté que ces couples dos à dos, portraits angoissants qui forment un tout insaisissable dans une surface flottante. Ces toiles dissimulent quelque chose et le laissent deviner. La vie réelle, l’espace de la mondialisation et de l’image, est une fabrique de vacuité. Et, ce que l’on a pris dans un premier temps pour une peinture décorative n’est au final que l’usure, une pauvre patine, des relations humaines. Ces vies enfermées dans l’espace de la toile, éteintes par le silence, désignent la vacuité et l’illusion. Le secret de chacun de ces drames se dissimule sous la qualité de la surface peinte. Tout ce qui fait la cohérence du réalisme fait défaut. Les figures et les objets, les informations, disparaissent au profit d’une fresque qui ne peut prendre fin. La peinture s’aborde comme un panoramique que le regard ne parvient pas à saisir d’un coup. La perception du contenu narratif n’est ni la conséquence des faits présentés et résulte encore moins de nos affects. Face à cette litanie de vies vidées de tout substrat, nous sommes dépouillés de toute réaction.
La peinture est une fracture et une perte. Les faits ne parlent plus. L’accident n’est plus qu’une histoire relatée, reproduite et oubliée. Et ces personnages, choisis au hasard par Atsing, se trouvent piégés dans une fresque exposant l’exil. C’est du côté de Dante qu’il nous faut aller désormais. Arrachés à leur lieu d’origine, certes ils ne pleurent pas, ils n’ont plus rien devant eux si ce n’est la conscience de la séparation. Plus rien ne les définit : producteurs, consommateurs, voyageurs forcés, soumis aux aléas de la marchandise et de l’histoire, ils errent dans la toile, comme ils divaguent dans le monde. La vision de la peinture d’Atsing est une illustration de « L’enfer » de Dante. Dans quel cercle nous trouvons-nous ?
Nous pénétrons dans ce cercle en abandonnant tout espoir ! Ici, il est temps de le dire, nous côtoyons la mort ! Pas la mort réelle, mais la mort symbolique d’êtres perdus et sans repères, sans mémoire et définitivement délestés de leur passé. Cette fresque n’est que la version contemporaine des danses macabres. Mais à la différence de l’époque médiévale, les temps modernes n’attendent plus rien de Dieu et encore moins d’une quelconque révélation salvatrice. Ne reste alors, et c’est le rôle dévolu à cette peinture, que la conscience d’un monde se mentant à lui-même pour mieux se fuir.
La peinture du néant en se saisissant du sensible est l’exercice le plus étonnant qui soit. Atsing nous conduit au travers de ces toiles vers des rivages où nous n’aurions jamais du aborder. Il mérite le beau nom de passeur, ou celui, plus infamant de Charron, nautonier des Enfers.

François Cheval,
Directeur des Musées de Chalon-sur-Saône


Biographie

Né en 1958 à Shanghai, Atsing a étudié à l’école des Beaux-Arts de Mulhouse. Ami et disciple de Ming, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Beaune depuis 2001, il vit et travaille aujourd’hui à Dijon. Peintre figuratif, Atsing est animé par la matière peinture et le geste pictural. Son réalisme est singulier. Il travaille des images issues du réel, par des couches colorées apposées selon une technique proche de l’ad fresco. Mais la couleur, toujours plus mate, dit la dureté du propos. En s’emparant de reproductions prises dans les magazines, l’artiste interroge le mystère des apparences et des faux-semblants.